Freitag, 23. Februar 1996

S.O.S. - Attentats:Pas de temps la colère et les larmes







Elle fêtait avec son mari dans un restaurant parisien leur anniversaire de mariage, quand une bombe et lui détruisit les jambes. Dans un climat de terreur et de psychose, elle arracha, avec son organisation S.O.S. Attentats, des lois pour les victimes. La vie de Françoise Rudetzki ou l'histoire d'une femme extraordinaire.
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Frankfurter Rundschau
23. Fevrier 1996
de Reimar Oltmanns
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A première vue , l'esplanade en briques devant le Dôme des Invalides pousse au recueillement. Non seulement l'histoire de toutes les batailles militaires de la République jusqu'en 1945 trouva dans cette décoration délibérément baroque son berceau. Mais l'intérieur héberge aussi le monument national des Français : le tombeau de Napoléon ainsi que celui d'autres personnages qui se sont illustrés au cours des guerres. Jour après jour, minutes de silence, les pas mesurés de messieurs pour la plupart aux allures militaires.
HANDICAPÉES DE LA RÉPUBLIQUE
S'il n'y avait pas depuis peu dans le "Corridor de Metz", sous les arcades, une femme qui y avait installé ses bureaux, une femme atypique pour ces messieurs. Françoise Rudetzki fait partie des handicapées de la République française, des femmes aux multiples cicatrices, victimes du terrorisme. Cette juriste de 48 ans, auparavant propriétaire d'une boutique, regagne son bureau en boitant, appuyée sur ses béquilles. La fondatrice de S.O.S.-Attentats,un organisme de défense "des victimes par les victimes " d'attentats terroristes, est le témoin vivant des nouvelles formes que prend la guerre.
PSYCHOSE D'UNE GUERRE CIVIL
"les explosions dûes aux terroristes dans les centres villes sont des variantes d'une guerre, même si c'est pour la plupart avec des moyens subversifs", dit Françoise Rudetzki. "Il est donc logique que j'aie mon bureau ici parmi les victimes de la guerre,au Ministère de la Défense ". Et ceci dans une France qui fut pendant des siècles une puissance coloniale et qui s'avère être involontairement, au cours des dernières décennies, la cible principale du terrorisme international venu du Tiers-Monde comme le Front Islamique du Salut ( le FIS algérien). Ces terroristes algériens voulant avec leurs attentats répétés, contraindre la politique française à renoncer à accorder toute aide politique et matérielle au régime algérien pro-occidental.
Dans aucun autre pays du monde occidental . Le terrorisme ne s'est accru d'une façon aussi rapide et n'a conduit les Françaises et les Français - ce que l'on peut d'ailleurs comprendre - à la psychose d'une guerre civile. Rien qu'en Corse - l'Irlande du Nord française - 37 personnes ont été assassinées l'année dernière, les autorités ont dénombré en tout 602 explosions de bombes qui firent plus de 50 millions d'euros de dégâts. Depuis 1990 on a noté exactement 3103 explosions. "Des symboles de la puissance coloniale" ,comme l'hôtel des impôts de Bastia , ont été réduits en cendres .
PRISE DE PANIQUE
La France à la fin de l'été 1995 - une nation est prise de panique - que ce soit à Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux, partout, il y eut 1.374 alertes à la bombe, semant la terreur dans différents endroits. Huit attentats terroristes ont déjà été perpétrés , en partie dans le métro parisien, en partie sur des boulevards très fréquentés. Bilan: sept morts et 160 blessés, en partie gravement.
PARIS A PEUR
Jamais jusqu'à présent,on n'avait vu autant d'uniformes dans les rues remplies de touristes : 32.000 policiers supplémentaires, environs 3.000 soldats, près de 9.000 douaniers surveillèrent les aéroports,les gares, les frontières, les centrales nucléaires ou les musées, interdiction de stationner devant les écoles ou d'autres "lieux sensibles ". De Paris au plus petit village retiré de Bretagne, des barrières devaient empêcher que des voitures ne stationnent devant les écoles; l'accès à l'enceinte de l'école étant autorisé au seul personnel . Environs 7.000 poubelles ont été fixés ou même carrément enlevées pour éviter qu'elles ne soient des cachettes potentielles de bombes. Finalement c'est pratiquement chacun qui dans le pays a ressenti "ce climat cauchemardesque de la terreur ", selon la formule du quotidien conservateur "Le Figaro":que l'on aille faire ses courses et soit obligé de soumettre le contenu de son sac à un contrôle ou que l'on prenne le métro et ne puisse s'empêcher de jeter un regard furtif sous le siège, que l'on fasse un écart en passant devant une cabine téléphonique ou une poubelle, il est aussi demandé de méfier de tout sac plastique qui traîne. "Paris a peur ",titrait le journal "Le Parisien". Et le Premier Ministre gaulliste Alain Juppé de répondre "La France ne capitulera pas".
2.200 VICTIMES DU TERRORISME
Pour les experts, par contre, ces attentats en série étaient uniquement la réédition de diverses actions terroristes d'origine politique avec des objectifs différents :Paris une capitale de la guerre par intérim entre le Nord et le Sud, riches et pauvres,églises et mosquées. La première fois où Paris fut ébranlé par des détonations d'actions terroristes ciblées, ce fut au cours des années mouvementées de la Guerre d'Algérie ,dans les années 1960-61 . Il y a dix ans, l'Iran essaya, avec des moyens terroristes, d'exercer une influence sur la politique française au Proche -et Moyen -Orient. Depuis 1987, il y a eu en France 297 attentas terroristes. C'est à cette époque que fut créé S.O.S.-Attentats. Réunir dans une organisation 2.220 victimes du terrorisme et amener à un changement important de la législation et par conséquent de l'indemnisation des victimes , n'est pas l'oeuvre de la Croix-Rouge,pas non plus des autorités mais c'est l'oeuvre d'une seule personne,une femme qui fut, à l'âge de 38 ans. gravement blessée par la puissance d'une bombe.
UNE BOMBE - ANNIVERSAIRE DE MARIAGE
Le 23 décembre 1983 , Françoise Rudetzki était avec son mari dans le restaurant parisien "Les Grand Velour ". Tous deux avaient l'intention de fêter leur dixième anniversaire de mariage. Mais une bombe explosa dehors et une porte de métal traversa la salle et lui déchiqeta les deux jambes. Elle fut pendant 7 semaines entre la vie et la mort, elle resta 10 ans clouée dans son fauteuil roulant. Ce n'est que progressivement que la jambe droite obéit au cerveau, pas la gauche :Françoise l'avance en faisant faire une rotation d'un quart de tour à sa hanche. Maintenant elle n'est plus dans son fauteuil roulant. Elle se tient debout et se déplace grâce à ses béquilles. Il lui a fallu subir en tout 41 interventions chirurgicales depuis l'explosion devant le restaurant: pendant plus d'un an elle n'a eu que le lit d'hôpital comme support, elle dut subir de nombreuses anesthésies générales. Les médecins lui dirent un jour: "La prochaine fois,nous ne pourrons faire qu'une anesthésie locale, vous allez devoir serrer les dents". Françoise a serré les dents. " Certains puisent leur force de vivre dans la croyance religieuse.Mais je ne l'ai pas.Je puise mon énergie dans la vie et dans l'espoir d'un monde plus juste": D'autre part, elle n'avait pas de temps pour la colère et les larmes, cela ne lui venait pas à l'idée.
TOUCHÉ SON ASSURANCE
Pendant ce temps, Françoise vit que le restaurant endommagé avait été magnifiquement rénové en trois semaines. Comme de bien entendu,le propriétaire avait touché une somme de son assurance. Un montant qui permettait aussi de financer une campagne d'affichage annonçant la réouverture, ainsi que des spots à la radio et la télévision. mais l'indemnisation des victimes : elle n'était pas prévue en France.
Et Françoise sait ce dont elle parle : "Parlons", dit-elle "de la jeune secrétaire Michèle, une victime dans le RER parisien. Malgré ses protestations,un passant photographia son corps à moitié dénudé et couvert de sang. C'est un délit. Mais quelques jours plus tard elle se vit, avec ses blessures sur deux pages d'un illustré. De l'aide,un soutien juridique,jusqu'à présent, Michèle n'en a pas eu."
"Parlons du maçon Albert, grièvement blessé aux deux jambes lors de l'attentat dans le métro. Il souffre de plus de troubles auditifs. Mais Albert ne put, à l'issue d'un long séjour à l'hôpital, rentrer chez lui.Son appartement dans un immeuble est sans cesse survolé par des avions. Le département du Val de Marne ne peut lui offrir d'autre appartement. Malgré les trois millions de chômeurs, sa femme Fabienne enceinte, ne bénéficie pas d'aide à domicile. Le versement d'une aide financière n'est officiellement pas prévu.
... TOUJOURS LEUR "EMOTION"
Parlons aussi de la stature de la personne compatissante , digne d'un film, prise par le Premier Ministre dans ses salons de Matignon quand les regards se posent sur lui. Mais par contre les lettres de proches des victimes qui demandent de l'aide s'entassent dans des sacs poussiéreux pour la simple raison qu'ils doivent prouver le décès d'un proche lors de l'attentat.
Ou bien parlons brièvement de Georges et de Félix. Ils sont restés plus d'un mois avec leurs fractures dans des services d'orthopédie. Ils n'ont même pas eu la brève visite d'un psychologue ou d'un psychiatre qui leur auraient apporté une aide psychologique. Les médecins n'avaient pas le temps, ils allaeint porter leurs réflexions de conférences de presse en colloques. Leur thème principal "le suivi psychologique des névroses de la guerre chez les victimes du terrorisme placées sous les feux de l'actualité".
Françoise est depuis peu assise à la table de son bureau situé sous le Dôme des Invalides. Pendant plus de dix ans,le petit appartement dans le 8e arrondissement a servi , par nécessité , de point d'accueil pour les victimes d'attentats. Elle envoyait des courriers,informait,voulait convaincre, ceci pendant des mois et presque toujours en vain. Souvent le soir, avec l'aide de son mari directeur commercial d'une société de mode, infatiguable elle mettait sous pli par exemple des appels à des actions après des émissions de télévision. Travail acharné d'une femme franc-tireur
DE L'ARGENT POUR TOUT - PAS POUR LES VICTIMES
Lorsque Françoise un jour dénonça l'absence de versement aux victimes de dommages et intérêts , donc d'une aide financière par la Sécurité Sociale et exigea une loi, elle toucha le point sensible de ses compatriotes. "Je continuerai mon travail tant que l'on n'aura pas soulagé la douleur , créé un lieu d'ecoute, apporté une aide psychologique. Nous ne voulons pas de vengeance. Mais , nous les victimes,nous n'accepterons pas que la France cède si vite au terrorisme d'état. Nous devrions avoir honte.", déclara-t-elle devant les caméras.
C'était l'année 1986, en France régnait un climat de terreur devant les bombes. Les jours suivants, Françoise Rudetzki reçut 50 sacs postaux, chacun pesant 20 kilos. Et Jacques Chirac, à l'époque Premier Ministre , reçut à Paris 500 000 cartes revendiquant une initiative législative."Madame, faites-moi savoir sans délai ce que je peux faire pour S.O.S.-Attentats. Et ce sera fait", annonça-t-il avec un regard plein de compassion.
UN FONDS DE GARANTIE
C'est ainsi et pas autrement que Françoise Rudetzki a imposé en France son fonds de garantie qui corrrespond dans ses grandes lignes à la loi allemande d'indemnisation des victimes. La France est ainsi le seul pays à disposer de sa propre loi de protection des victimes du terrorisme. Cette loi se compose pour l'essentiel d'un fonds spécial d'assurance qui doit couvrir, pour la personne concernée et sa famille, l'ensemble des dommages occasionnés par un attentat. Ce fonds est financé par une augmentation d'à peu près 76 centimes de la cotisation de chaque Français à une assurance complémentaire.
CABINETS DE JUGES
Depuis, Françoise Rudetzki intervient avec son organisation S.O.S.-Attentats comme partie civile dans plus de 200 procès pour actes de terrorisme. Tous les 15 jours, S.O.S.-Attentats est dans les cabinets de juges et de procureurs des plus grands procès. Cela doit permettre d'éviter que la justice ne se retrouve à nouveau gage de la politique, que pour des raisons d'opportunité, des terroristes soient expulsés dans leur pays d'origine- donc mis en liberté. Françoise Rudetzki a systématiquement tissé un réseau d'avocats et de médecins. "Seule notre vigilance nous protège de tout marchandage. Nous avons en France d'une certaine façon occulté au cours des dernières années que nous étions un pays au romantisme entièrement caché avec une grande partie de machisme. Il nous faut au tribunal faire entendre à nouveau la parole des victimes. Finalement, les terroristes n'ont pas le monopole de l'argumentation. Que notre époque est obtue."
Le téléphone sonne, à l'autre bout du fil, le Ministre de la Justice, Jacques Toubon, (1995-1997) prend de ses nouvelles. "Il nous faut enfin supprimer les frontières juridiques en Europe", lui dit Françoise Rudetzki ce soir-là "Car un coupable devrait être obligé de comparaître devant le tribunal du pays où il est arrêté. Les procédures d'extradition repoussent la date du procès et atténuent ainsi les chefs d'accusation. C'est ainsi que la justice devient n'importe quel jouet des intérêts politiques en Europe. Il faut mettre fin à cela. Pourquoi les terroristes continuent-t-ils à échapper à la juridiction européenne ?", demanda-t-elle à Jacques Toubon. Le Ministre de la Justice trouva que c'était une question tout à fait pertinente. Ce à quoi Françoise Rudetzki répondit: "Monsieur, allez -y! allez à Bruxelles".